Qui était William Wadé Harris?
Dans le sillage immédiat de son ministère de 1913-1914, l’oeuvre de Harris avait été vite dénoncée par les missionnaires catholiques comme celui d’un charlatan sans scrupules qui exécutait un “complot protestant” contre la mission. A la Côte d’Or, les missionnaires méthodistes et les pasteurs africains étaient divisés dans leur appréciation de l’homme dont ils ne savaient pratiquement rien, à part le fait qu’il avait eu des rapports avec l’église méthodiste au Libéria auparavant. Les missionnaires méthodistes anglais sont arrivés en Côte d’Ivoire en 1924, et leur appropriation de la succession de Harris à fait d’eux une source principale de connaissances sur l’homme en question. Grâce aux recherches faites récemment, de nombreuses lacunes d’information et de compréhension n’existent plus, et nous pouvons mieux comprendre l’homme derrière le prophète.[5]
Jusqu’à l’âge de douze ans, Wadé (qui est né vers 1860) a vécu dans un village traditionnel Grebo au littoral est de Cap Palmas, au Libéria. Fils d’un “père païen,” il déclarait qu’il été “né méthodiste.” Cela indique que c’était à l’époque où les convertis étaient obligés de quitter le “village païen” pour aller au village chrétien de l’autre côté du lagon, à Half-Graway. La mère de Wadé, de manière exceptionnelle, a pu vivre sa vie de foi au sein d’une vie de famille traditionelle, avec tous les sacrifices, la divination, la sorcellerie, et les influences du “médecin de campagne.” L’autre exposition importante au christianisme, à cette époque traditionnelle, était la campagne évangélique inefficace lancée de temps à autre dans le village par les missionnaires épiscopaliens.
Une deuxième période, qui a eu lieu dans son adolescence, a vu son exposition intense à la “civilisation.” Il a passé six ans chez son oncle maternel, le rév. John C. Lowrie, qui l’a pris comme apprenti et écolier dans sa maison de pasteur-maître d’école méthodiste à Sinoe, parmi les libériens immigrés, en dehors du territoire grebo et loin des influences de la vie traditionnelle. Lowrie était un ancien esclave, converti et éduqué à Freetown, et était un prédicateur et un enseignant remarquable. Il a baptisé Wadé, et lui a sans doute donné le nom William Harris. Il lui a aussi appris à lire et à écrire en anglais et en grebo. Même s’il n’était pas converti à cette époque, Harris a été marqué définitivement par la foi, la piété, la discipline, et la culture biblique de Lowrie, ainsi que par son rôle d’homme de la Bible dans la société. Cette période s’est terminée par quatre voyages que Harris a fait en qualité de Kroo-boy [garçon-Kroo] (membre de l’équipage, souvent de descendance éthnique Kroo) à bord de vaisseaux anglais et allemands qui allaient à Lagos et au Gabon, et une autre période en qualité de chef des Kroo-boys qui travaillaient dans les mines d’or à l’intérieur du pays près d’Axim, sur la Côte d’Or.
Lors d’une période de renouveau spirituel à Harper et à Cap Palmas, quand il avait à peu près vingt-et-un ans, Harris a été converti dans l’église méthodiste par l’appel du texte dans Apocalypse 2 :5 (“Souviens-toi donc d’où tu es tombé : repens-toi et accomplis les oeuvres d’autrefois.”[TOB]) préché par le pasteur libérien, le rév. Thompson. Bien des années plus tard, il a dit : “Le Saint-Esprit est venu sur moi. J’ai commencé à précher dans la première année de ma conversion.” Cette nouvelle période chrétienne a été marquée par son mariage chrétien en 1885. Il a épousé Rose Farr, la fille d’un enseignant du catéchisme épiscopalien John Farr, qui venait du village chrétien de Half-Graway. Harris, qui était maçon, a bâti leur maison dans le village, une maison qui avait tous les traits d’un “chrétien civilisé” : toit en tôle d’acier, deux étages, fenêtres avec volets, cheminée, etc. En 1888, il a été confirmé dans l’église épiscopalienne par le premier évêque libérien, Samuel D. Ferguson. A l’époque, l’église méthodiste devenait de plus en plus faible, et elle était surtout libérienne, tandis que l’église épiscopalienne était en bonne forme financièrement, et travaillait surtout parmi les Grebo. En effet, Harris a condamné son action par la suite, qui avait été faite “pour l’argent.” Mais, avec plus d’éducation, et grâce à une réussite en 1892, quand la tribu a accepté d’observer le sabbat (l’évêque avait appelé le sabbat “la lame aigüe de la cale de notre évangile”), Harris a été nommé enseignant adjoint et catéchiste pour son village natal.
Dans le contexte d’une ascension sociale associée “à la civilisation et au christianisme,” Harris a été un agent payé dans la structure épiscopalienne pendant plus de quinze ans, jusqu’à la fin de l’année 1908. D’abord simplement catéchiste, ensuite chargé de l’école du dimanche d’un village, il est devenu lecteur laïc et ensuite directeur adjoint dans son église ; dans l’école, il est passé d’enseignant adjoint à enseignant, et ensuite à la direction du petit pensionnat où il avait été précédé par son beau-père et son beau-frère. En dehors des domaines de l’église et de la mission, il est devenu interprète officiel du gouvernement en 1899, et a profité du prestige accordé à l’agent de liaison entre les fonctionnaires locaux libériens et les populations grebo indigènes.
Cette période, dans l’ensemble, a été tragiquement marquée par un conflit intense entre les noirs indigènes et les noirs américanisés. Si au début Harris était du côté des pressions “civilisantes” de l’église épiscopalienne et des formes étrangères de la république libérienne, il est clair qu’à mi-chemin de cette période, sa loyauté commençait à se déplacer de manière importante. En 1903 il a été provisoirement relevé de ses fonctions de directeur de l’école, et rétabli en 1905, mais il était clair que ses sympathies étaient du côté du peuple grebo plutôt que du côté du régime libérien. Ce régime était soutenu sans réserve par les évêques, malgré le fait qu’il n’était pas du tout prêt à assimiler “les chiens grebo.”
Au cours de cette évolution, deux modèles de pensée importants étaient en jeu pour Harris. La très grande influence d’Edward Blyden, né aux îles Vierges et proéminent au Libéria – le noir le plus éduqué et le plus capable de s’exprimer clairement à l’époque – parlait sans cesse du manque d’efficacité et de l’impérialisme culturel des missions occidentales et était fermement du côté d’une église autonome et panafricaine ; en même temps, il était convaincu que le salut politique du Libéria ne pouvait venir que d’un protectorat britannique. Mais aussi, à Cap Palmas, l’ami de Blyden, le prêtre sécessioniste Samuel Seton, avait déjà créé en 1887 l’église séparatiste de “l’Eglise du Christ” sous l’influence du leader religieux américain Charles T. Russell, qui avait fondé le groupe qui deviendrait par la suite les Témoins de Jéhovah, et dont les écrits apocalyptiques arrivaient en masse dans la région malgré l’opposition de l’évêque Samuel Ferguson.
Pendant la deuxième moitié de 1908, et s’appelant “le secrétaire du peuple de Graway,” Harris a employé les menaces, la violence, et les pratiques occultes pour manipuler les chefs grebo locaux, les amenant à être du côté des britanniques et contre la république. En février 1909, lorsqu’un coup d’état auquel Blyden a participé a échoué, le co-conspirateur Harris – au risque de sa vie – faisait flotter le drapeau britannique [le Union Jack] à Cap Palmas dans l’attente de la prise de pouvoir des anglais, à laquelle il avait beaucoup donné. Son arrestation et son emprisonnement à Harper (Cap Palmas), au Libéria, ainsi que son tribunal et sa condamnation pour raison de trahison lui ont valu une amende de $500 et une peine de prison de deux ans. Après avoir versé le montant de l’amende, il a été mis en liberté conditionnelle, mais il avait perdu son travail avec l’église épiscopalienne et avec les autorités libériennes, pour qui il avait travaillé pendant neuf ans.
Il a défié les termes de sa mise en liberté conditionnelle, et il s’est mis à précher avec vigueur contre le régime libérien, et à soutenir la désaffection et l’armement de la population locale. Quand la guerre a éclaté en janvier 1910, il s’est retrouvé en prison, sans doute à cause du fait qu’il n’avait pas respecté les conditions de sa mise en liberté. La guerre, que les troupes du Libéria soutenus par un vaisseau de guerre américain ont gagnée, était un débâcle total pour les grebo : la population en fuite, les villages pillés, des amendes, une relocalisation forcée – et la guerre la plus chère de toute l’histoire de la jeune république. Harris était en prison, déprimé par le cours des événements, et c’est là, vers juin 1910, que son avenir prophétique a été déterminé.
Source: https://dacb.org/fr/stories/liberia/legacy-harris/
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